Lune Noire
Fille au sang bâtard, homme dont le seul crime est d’être né au sein d’un peuple maudit. Elle, fille de la forêt, source vie et de renaissance. Lui, né dans les carrières dunâdian abandonnées, lieux chaotiques et cimetière d’une civilisation entière. Demi-elfe au cœur pur, elfe noir solitaire et mélancolique. Issus de peuples ennemis, pourtant de même origine. Tout les séparait, rien le les prédestinait à cela.
Et pourtant, la lune, dans sa lueur macabre et sans éclat, les unit ce soir là.
Leur destin était tracé, leur malheur sans échappatoire. Le halo de l’astre presque rond les plongeait dans une atmosphère irréelle; seuls, leurs yeux semblaient encore vivants dans cette partie de carrière à ciel ouvert. Ce lieu était leur seul refuge presque sûr, car territoire neutre, trop proche des carrières pour les demi-elfes, et délassé par les elfes noirs, peuple sombre fuyant perpétuellement la lumière, ainsi que les races autres que la leur.
Il parla le premier. Sa voix, ferme mais néanmoins empreinte d’une certaine douceur, sut séduire cet être fragile. Malgré ses réticences à communiquer avec une créature que l’on disait vile et sournoise, elle ressentait quelque chose. Quelque chose d’indescriptible, quelque chose de troublant.
Les traits doux et charmeurs naturels aux demi-elfes, le ton suave de sa voix, son regard si profond rendaient ce cœur endurci aussi tendre que l’ambroisie. Le premier regard, les premières paroles, le premier contact physique, tout leur disait qu’ils n’avaient aucune crainte à avoir.
Même si leurs différences les obligeaient à se tenir à l’écart l’un de l’autre, ils devaient accepter leur destin : un lien très fort, trop fort les réunissait d’ores et déjà. Rien ne pourrait plus les désunir.
Ce soir d’automne, ils assistèrent à l’un de ces spectacles si rares que la Nature seule sait nous offrir. Enlacés tendrement, les amants maudits admiraient la lumière des étoiles filantes mourir aussi vite qu’elle prenait vie.
Ce fut leur première et unique erreur.
Leur amour naquit sous cette pluie d’argent, baigné dans la lumière blafarde de leur mère la Lune.
Un soir, un elfe noir, s’aventurant plus loin que les limites du territoire de son peuple, surprit l’une de leurs rencontres clandestines. Il courut immédiatement faire part de cette traîtrise à ses frères de sang.
Apprenant cette nouvelle, la jeune étrangère, par courage ou par pure folie, décida de raconter de son aventure à sa famille, tentant de lui faire accepter cet être haï sans raison. Lourde erreur qui la condamna à faire un terrible choix.
Leur peuple respectif les poussait à admettre leur tort. Elle refusait d’entendre les blâmes de son clan; elle prit cependant la décision de s’écarter de son amant, uniquement afin de le protéger de la furie barbare des demi-elfes, élevés dans la tradition guerrière des nains.
Il comprenait l’importance d’une telle décision, mais le doute germa dans ses pensées.
A la pleine lune, ne pouvant guère plus supporter cette distance prise, il décida à son tour de s’éloigner de celle qu’il aimait plus que tout au monde, la peur emplissant son cœur et la colère embrumant son esprit. Le voyant rongé par la haine qui coulait dans les veines de ceux de son clan depuis d’obscurs temps, elle crut leur union désormais condamnée et y mit fin.
Honnie, sois-tu, lune infanticide, qui laisse mourir un de tes fils !
Peu de temps après, il renia son peuple, abandonna ses idéaux et délaissa les divinités honorées par ceux de sa race depuis des millénaires. Il partit seul, marchant hors des boyaux où sa vie avait pris âme et sens avant d’être détruite, errant hors des sentiers battus. La Mort le guettant à chaque instant.
Vivre ou mourir, il n’y a pas de différence si le bonheur n’est plus.
Vivre sans elle, ce n’est pas vivre, c’est mourir jour après jour.