Ulara, cité de la brise
J'ai du citer, de temps en temps, le nom de ma cité natale, Ulara, sans jamais prendre le temps d'en parler véritablement. Le temps est venu pour moi de combler cette lacune. Voici donc mes quelques souvenirs.
Ulara signifie, en elfique local, "Cité de la brise". Elle doit ce nom à ses antiques fondateurs qui, selon la légende, auraient été conduits en ce lieu par Aerdrië Faënya en personne.
Elle se situait dans une vallée étroite et boisée. Elle avait été conçue de manière à ne pas être découverte à moins d'avoir le nez dessus. Faiblement peuplée, c'était plus un grand village qu'une petite cité. Abritant tout au plus une dizaine de familles, Ulara possédait une organisation hiérarchique très particulière. La cité était divisée en clans, chacun possédant sa légende propre et son signe distinctif. Il y en avait cinq en tout: les Angelames, les Flammecœurs, les Chasseloups, les Lunarchers et les Verdutians. Chaque clan était représenté au Haut Conseil de la cité par deux membres, l'Ancien, doyen du clan, et l'Élu, choisi par le reste du clan. Parmi ces dix représentants était désigné le Chef symbolique de la cité. Il tenait principalement les rôles de juge et de chef militaire, les autres membres du Haut Conseil faisant alors office de jurés et d'état-major. En toute autre circonstance, tous les membres du Haut Conseil étaient égaux et chaque décision était prise à la majorité absolue, la voix du Chef dominant en cas d'égalité. Nous vivions alors en autarcie et n'avions aucune visée expansionniste. Chacun était sensé œuvrer dans l'intérêt de la communauté, mettant à profit ses talents pour satisfaire un des impératifs de la cité. Pour cela, le Haut Conseil instaura, il y a fort longtemps, un système de castes. Outre le devoir de participer aux travaux agricoles ou d'intérêt commun, chaque habitant pouvait, s'il le souhaitait, rejoindre une caste. Ces castes étaient au nombre de quatre: Traquesylve, Marcherêve, Saignacier et Âmegardien. Chaque caste tenait une place spécifique dans la vie à Ulara.
Les Traquesylves, par exemple, étaient un groupe de chasseurs expérimentés qui rapportaient du gibier afin de varier l'ordinaire des Ularans. Ils constituaient de surcroît une troupe d'éclaireurs discrets et efficaces qui rendait compte des mouvements des populations gobelines. Mais plus qu'une technique de chasse et de pistage, c'était une véritable communion avec la Nature qu'enseignaient les vieux chasseurs. A tel point que le gibier semblait venir à eux, comme s'il savait que sa mort nourrirait d'autres vies.
Les Marcherêves, quant à eux, étaient les garants de la santé mentale de tout Ulara. Peu nombreux du fait d'une éducation longue et laborieuse, ils détenaient des secrets qui leur permettaient de sonder et de soigner les esprits troublés. Ils pouvaient également se servir de ce talent comme d'une arme, en semant la terreur dans le psychisme de leurs adversaires. On raconte que d'anciens Marcherêves pouvaient même contrôler la forme de leur corps et parcourir, par la force du rêve, des distances qui auraient nécessité plusieurs jours de marche. Pour cette raison, on les nommait les Songecoureurs.
Les Saignaciers constituaient, pour leur part, la force armée d'Ulara. Combattants émérites et fins stratèges, ils assuraient la défense de la cité. Mais à l'inverse des Traquesylves, entraînés au maniement des armes de jet, les Saignaciers se distinguaient dans les combats au corps à corps. Leur talent se manifestait surtout à travers leur propension à frapper le moins souvent mais le plus efficacement possible. Chaque coup porté était destiné à tuer. Fort heureusement, l'harmonie régnait à Ulara et les Saignaciers n'utilisaient leur art d'ôter la vie que pour repousser les attaques des gobelins.
Enfin, les Âmegardiens tenaient les rôles de prêtres et de guérisseurs. Comme les Marcherêves, les Âmegardiens étaient peu nombreux car les jeunes Ularans les considéraient comme pompeux et rabat-joie. Mais leur sagesse a plus d'une fois contribué à la pérennité de la cité. De plus, ils étaient chargés de tenir les archives de la ville, c'est pourquoi on les appelait parfois la Mémoire d'Ulara.
Mais cette structure sociale n'était absolument pas rigide. Au contraire, il n'était pas rare qu'un Saignacier, las du fracas des armes, rejoigne la caste des Marcherêves ou des Âmegardiens ou tout simplement profite d'un repos bien mérité. Évidemment, ce n'est qu'un exemple et, bien que certains mouvements étaient plus fréquents que d'autres, je crois qu'au cours de l'histoire d'Ulara tous les mouvements de castes possibles se sont produits. Il me semble même qu'un habitant d'Ulara a fait partie successivement de chaque caste.
Voilà, maintenant vous savez tout de l'organisation sociale de ma cité natale, telle que je l'ai connue avant d'en être banni…
Avant qu'elle ne tombe en ruines, sous les coups d'une horde d'orcs, gobelins et d'ogres, fort semblable, d'ailleurs à celle qui attaqua Acménia, bien que plus réduite. Lorsque je suis revenu sur les lieux qui m'ont vu grandir, je n'ai trouvé que désolation. Seul le cimetière semblait avoir échappé à la fureur des affrontements, comme si, comme moi, il avait été ailleurs au moment des combats. Les stèles affichaient tristement leurs épitaphes, comme si elles savaient que personne ne les lirait plus. Tombant en arrêt devant la tombe de celle qui fut mon aimée, je fus soudain pris d'un désespoir sans bornes. Puis, résigné, je me mis en tâche d'offrir une sépulture à tous ceux que je pouvais reconnaître. Mon maître Marcherêve, Sandalfon mon père, ma famille, mes amis, tous avaient succombé. Après avoir enterré les dernières dépouilles, je partis au hasard des vents, abandonnant sur la tombe de mon père l'épée que j'aurais du apprendre à manier.
Désormais, Ulara n'est plus qu'un champ de ruines où se dressent les tombeaux rudimentaires de ceux qui peuplèrent ma vie. Et, en son sein, survivent sûrement les spectres des citoyens d'Ulara, hantant les décombres de la cité et réclamant vengeance éternellement. Et ma voix se joint aux leurs, car, tout Banshee qu'ils soient, je connais leur douleur, je sais leurs tourments. Aussi ai-je parfois envie de pousser une plainte lugubre et interminable, mortelle de tristesse, qui me libérerait de mon chagrin et me permettrait de trouver le repos, ici et maintenant.