De la fin des Farfadets
Nombre d’entre vous (les plus curieux, du moins) se seront sûrement
demandés pourquoi le Grand Ouvrage, qui, nul ne l'ignore, répertorie
toutes les races humanoïdes sentientes connues ainsi que leurs
caractéristiques, et rédigé, d’après les légendes, par les Gardiens
eux-mêmes (thèse osée, nous devons le reconnaître, l’existence de ces
mythiques Gardiens étant pour le moins sujette à caution…), ne fait nulle
part mention du temps de vie imparti aux Farfadets de nos contrées…
A quel âge commencent donc les Farfadets à se décatir, les menant
irrémédiablement vers la mort ? On ne saurait croire que les Farfadets
soient immortels et que cela ne se sache pas !… Quoique… Ne vous fiez
jamais à votre première impression.
Trop nombreux sont ceux qui ont oublié les temps anciens où les Farfadets
étaient des entités purement spirituelles, au côté des Démons ou des
Sandestins. Qui sait encore qu'à cause de leur goût trop prononcé à se
mêler au destin des mortels, les Farfadets changèrent progressivement de
nature. Leur magie se dilua lentement dans la réalité, ils devinrent la
seule race d'immortels finissant toujours par mourir ! Comment expliquer
un tel paradoxe ? C’est précisément l'objet de cette histoire.
Le jeune Farfadet, tous les Acméniens ne le savent que trop bien, est
paillard, alcoolique, curieux, bruyant et saoulant plus qu’à son heure.
Les légendes Acmènes parlent d’ailleurs bien souvent des farces, tracas et
railleries avec lesquels les Farfadets semblent prendre plaisir à les importuner.
Inconscient des conséquences parfois dramatiques de ses oeuvres, le jeune Farfadet ne recule
devant aucune roublardise... Que l'on pense à celui de la légende
d'Argalie, qui vola les braies du redouté Roi Bréghor alors qu'il passait
la nuit chez sa maîtresse, lui qui dut alors traverser la ville cul nu au
petit matin, pour la plus grande joie des artisans matinaux.
Cependant, cette période d'insouciance joyeuse et débridée ne dure
toujours qu'un temps. Certes, un temps variable selon les prédispositions
du sujet (on dit que l'arrière grand-père d'Aodhanig vécu ainsi pendant
800 ans !) et que d'aucuns trouvent parfois beaucoup trop long, mais un
temps fini.
En effet, l'agitation finit toujours par se muer en un goût prononcé pour
le repos et la méditation. Le Farfadet qui entre dans cette période part
souvent s'isoler en Forêt au sommet d'un grand chêne. Il se laisse
pénétrer par la sagesse naturelle, son rythme passant alors de celui de la
Musaraigne à celui de l'Ours, puis à celui de la Joubarbe, des saisons, et
pour finir, des Rochers.
Les Farfadets en quête de savoir partent parfois
chercher conseil auprès de ces ermites érudits... Ce n'est cependant pas
tâche facile : trouver un Farfadet dissimulé dans son habitat naturel
n'est d'ordinaire pas tâche aisée, mais lorsque ce dernier n'a pas bougé
depuis trois saisons, qu'il est couvert de feuilles mortes en états de
décomposition variés, de toiles d'Araignées et de déjections de Moineaux,
c'est quasi-impossible. Quant à savoir de plus si le vieux grognon aura
de plus envie de parler...
Reste que dans la phase ultime de cette quête
de sagesse, le Farfadet finit par comprendre l'erreur des Anciens : les
esprits ne sont pas fait pour prendre enveloppe charnelle. L'équilibre ne
peut être assuré que s'il accepte enfin d'abandonner la sienne pour
rejoindre son peuple. On n’en retrouve alors qu’un corps sec et momifié,
perché sur un arbre de la Forêt.