Le farfadet qui voulait voler


Barpheld était un brave et courageux farfadet. Il était même d’excellente compagnie quoi qu’un peu original, aux dires de la communauté farfadette. A travers une sorte de folie douce, emprunte de mansuétude et de tolérance, il donnait un exemple d’intégrité et de grandeur d’âme. Lorsqu’il était enfant, le sage Mofitt avait dit à son père qu’il fallait le surveiller ce petit ; c’est un rêveur qui ne dort pas, et les rêveurs peuvent être dangereux, car un jour ils atteignent leurs rêves et leurs destinés peuvent en être transformées.

Il eut pourtant une enfance ordinaire : intelligent mais peu enclin à la discipline, il était très joueur, il fit son éducation en observant la nature et en écoutant les maîtres, shamans, sages et autres penseurs. A l’âge de 7 ans, il déclara à son père : « Plus tard, j’étudierai les oiseaux ». Ce dernier l’accueillit en s’esclaffant : « Mais où va-t-il chercher tout ça ? Tu seras menuisier, comme ton papa... ». Ci-fait il entra à 10 ans dans l’atelier de son père comme apprenti, mais sa passion pour les oiseaux ne le quitta pas. Dès qu’il avait un moment à lui, il courrait vers la plaine, le cœur battant et les tempes en sueur, pour observer s’envoler l’objet de ses pensées. Parfois il reparlait de ses désirs à ses parents en vain. Son père était sourd à sa requête ; il le sommait de cesser ces enfantillages, il fallait qu’il devienne adulte et responsable, la menuiserie était un métier sérieux.

Pendant plusieurs années, il essayait de satisfaire aux voeux de ses proches, mais il brûlait d’une flamme qu’il refusait de voir s’éteindre ; en rêve, de jour comme de nuit, il était parmi les volatiles en une assemblée collatérale et fraternelle, jusqu'à ce que la réalité angoissante resurgisse, le faisant sombrer dans une pénétrante mélancolie. Malgré l’oppressante idée de passer à côté de sa vie, il devenait un merveilleux artisan, dont son père était très fier. Il s’était spécialisé dans les objets d’ornement et plus précisément la sculpture d’oiseaux. Ses réalisations en bois précieux acquièrent une respectable renommée, et se vendaient largement au-delà des frontières farfadettes. Il travaillait la plupart du temps à l’extérieur pour être proche de ses amis de cœur, pour qui il avait construit maisonnées et mangeoires. Il avait lié avec eux de véritables rapports affectifs et intervenait souvent en cas de danger ; il fixait sur les arbres de grosses bêtes en bois pour effrayer les prédateurs. L’hiver, il partageait volontiers ses rations de pain avec eux et les laissait picorer les fruits de son verger, l’été. Tant et si bien, que ces animaux à plumes l’appréciaient réellement et se sentaient redevables à cet étrange petit homme bien différent des autres de sa race. D’ailleurs un mythe, parmi les oiseaux, courrait autour de Barpheld ; à en croire les instructeurs volatils, il était un oiseau qui avait perdu ses ailes.

Un jour, Barpheld, en maniant du balsa et dans un éclair de génie inspirateur mêlé à une fièvre du diable, eu l’idée de se fabriquer des ailes. Il rassembla tout ce qui se faisait en bois léger et maniable et conçu deux grands triangles isocèles articulés en leurs milieux, sous lesquels il plaça des poignées. Il parcourut les plaines et la forêt en quête de plumes à fixer à ces ailes de bois. Bon nombre d’oiseaux se dépouillèrent, même, de quelques plumes pour lui en faire cadeau. Après quelques jours d’un labeur acharné, les ailes achevées, Barpheld était fin prêt à répondre à sa soif de grand air. Hélas, la tentative se solda par un échec. Dépité, il se promit, néanmoins, de réessayer une autre fois. Et il recommença des dizaines et des dizaines de fois, pathétiquement, sans succès. Les oiseaux l’observaient, confus mais d’un regard attendri et plein de compassion ; tous les oisillons sont passés par là. Barpheld, sous le joug de la colère de son père qui voyait les commandes insatisfaites, devenait la risée de son village. Mais il n’abandonnait pas ; il tentait de nouveau sa chance, encore et encore.

Un soir, désespéré, il décida d’en finir en une ultime tentative ; si cela ne marchait pas, il renoncerait humblement et finirait ses jours en menuisier, délivré de sa concupiscence impossible. Non loin de là, et sans qu’il ne le sache, l’assemblée des sages volants statuait sur son sort. Il semblait avoir tant envie de s’envoler, que son cœur devait être celui d’un oiseau. Et parce qu’il était courageux et pur il méritait de faire partie de l’élite volatile. Les dieux en avaient certainement décidé ainsi. Le seigneur des oiseaux exhorta, donc, son peuple à aider Barpheld, l’oiseau qui à perdu ses ailes. Celui-ci entreprit son dernier essai, dans un vaste plateau, au sommet d’une falaise. Il se mit à courir à en perdre haleine, et, au moment de s’élancer dans l’air, une myriade d’oiseaux s’accrocha à ses ailes de fortune, et porta Barpheld dans les nues. Il n’en crut pas ses yeux, remplis de larmes. Il était heureux. Et du haut des cieux salua les villageois, dont son père, éberlués. Ca avait marché, il avait réussi à atteindre son rêve ; il volait.

On ne le revit plus dans son village. Mais dans la région, d’aucun prétendait qu’il existait un farfadet qui vivait parmi les oiseaux et qu’on voyait voler au raz des nuages, un éternel sourire scindant son visage en deux ...




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