La fin de Tyrion le ménestrel


J'ai décidé de reprendre ma plume, d'ailleurs longtemps laissée de côté, pour vous conter la fin de Tyrion, ménestrel Elfe de toute noblesse dont la vie reste malgré tout un grand mystère, car l'on ne sait pas exactement quels étaient ses pouvoirs et affinités avec la nature.

J'ai appris de mes pères que Tyrion naquit il y a de cela fort longtemps. Ses parents étaient deux beaux Elfes en communion avec la nature qui se hâtèrent de lui enseigner ce qu'il était alors d'usage d'apprendre à un Eldar turbulent.

Seulement, jeune déjà, Tyrion préférait la compagnie des oiseaux et des fleurs à celle de ses frères de sang. Un jeune étrange, bizarre... différent, se hasardaient même à dire les Elfes des environs.

Bien vite, Tyrion se sentit pousser des ailes, ses jambes réclamaient, impatientes, les prémices d'un grand voyage où la découverte de nouveaux horizons serait la seule récompense aux efforts fournis.

Embrassant mère et géniteur, Tyrion partit selon l'usage, sans arme ni bagage. Mais bien vite, alors qu'il marchait d'un bon pas silencieux et agile, pareil à celui de ses semblables, il ressentit le besoin d'accompagner le chant des oiseaux qui semblait annoncer sa venue là où il décidait d'aller.

Il s'accroupit au bord d'une rivière pour y découper dans les roseaux et à l'aide d'un petit couteau une flûte de pan qu'il noua patiemment avec une ficelle blanche qu'il trouva dans sa poche.

Commença alors une ère joyeuse pour tous les Elfes et animaux qui croisaient le chemin de Tyrion le ménestrel, qui allait tantôt sifflant dans sa flûte, tantôt chantant avec entrain sur des notes toujours juste un refrain.

Une clepsydre avant qu'il soit à vue d'yeux Elfes, on entendait sa mélodie qui semblait magique, comme venue d'un autre âge, d'un autre temps. Elle réjouissait le cœur et envahissait l'âme d'une humeur irrésistiblement joyeuse. Les Elfes arrêtaient leurs tâches et cessaient leurs palabres quand résonnaient les notes de la flûte de Tyrion, de sa voix entraînante et harmonieuse.

J'étais très jeune quand je l'entendis arriver, mais je crois que je m'en souviendrai toute ma vie. Je constatai alors que la légende ne mentait pas, la musique m'emplit de bonheur et je courus, abandonnant l'épée de mon père que j'étais en train de faire briller de mille feux en vue de la bataille à venir.

Je le découvris après une course qui, malgré la vitesse que me prêtait mon exaltation, me parut anormalement longue alors que la musique semblait si proche...

Il était vêtu sobrement, seul le tatouage de son clan couvrant la moitié de son front et cerclant son œil révélait sa grande noblesse et la prestigieuse famille qui l'avait nourri et sevré.

Ses sandales ne ressemblaient à plus rien tant le chemin parcouru avait dû être long. Et pour cause ! Certains avançaient qu'il marchait depuis des siècles immémoriaux et qu'à chaque village, on lui offrait de somptueuses sandales confectionnées par le meilleur artisan de la région mais que chaque fois, il refusait poliment.

A mon arrivée fracassante, les oiseaux qui, je le crus sur le moment mais je ne puis le jurer, étaient perchés sur son épaule s'envolèrent à grands battements d'ailes. Avant que je puisse regretter d'avoir rompu ce charme merveilleux, Tyrion rangea rapidement sa flûte de pan dans la sacoche qu'il portait toujours sur le ventre et s'adressa à moi d'une voix apaisante.

- Et bien, petit, que se prépare-t-il dans la vallée ? J'ai entendu des rumeurs de combats... Le temps de la querelle meurtrière harasserait-elle encore nos frères Elfes ? Ah ! Peste soit de la fierté et de l'arrogance elfique, nos parents, maîtres et disciples meurent chaques jours dans des conflits dont même Xzar n'a pas eu vent de leur raison !

Il était en colère, mais l'expression de son visage demeurait calme et bienveillante. Seul le feu intérieur de ses yeux semblait rugir, enfermé dans une bille dont il ne pouvait sortir.

Il avait raison d'être en colère. Rarement auparavant je ne m'étais posé la question, mais jamais je n'avais obtenu de réponse satisfaisante quand je demandais le motif des sanglantes batailles qui opposaient depuis des siècles Alfarion, chef de notre clan et maître de Aëlis, mon père, à Scaragoth Borudil, leader du clan des Dañears, nos éternels rivaux.

Dans la plaine, au fond de la vallée où nos deux armées se faisaient face, les oiseaux avaient fui, les animaux se terraient dans leurs terriers et seuls les cerfs bramaient courageusement au loin, en réponse aux hurlements des loups en cette fin d'après-midi étouffante.

L'arrivée de Tyrion dans notre camp fut accueillie par des hurlements de triomphe avant l'heure. "Il" était avec nous, les présages nous étaient favorables, les Dieux et mère Nature nous accorderaient la victoire, il ne pouvait en être autrement.

Car on racontait que là où Tyrion passait, les récoltes prospéraient, un temps radieux s'instaurait pour durer, les vierges enfantaient, la chance nous souriait... Enfin, on racontait tant de choses à son propos...

La nouvelle de son arrivée se répandit comme une traînée de poudre et bientôt plus personne ne s'intéressa à l'armée adverse, qui dû être bien surprise et vexée de ce manque de respect évident.

La joie régna dans le camp mais elle fut de courte durée, car bientôt Tyrion se leva sur un arbre et entama un discours d'une voix qui rarement ne fut plus dure :

- Ô peuple de Xarnos, ô prestigieux clan parmi les clans prestigieux, votre vanité n'a d'égale que votre propension à la colère et aux actes irréfléchis. Depuis des siècles, vous combattez vos frères pour un motif que même Alfarion, votre sage chef, le plus ancien de votre clan, n'est pas capable de vous rapporter. Il suffit à présent ! Alfarion, toi que les Astres et Galadriel avaient promis une vie heureuse et prospère, tu entraînes ceux sur qui l'on t'a chargé de veiller dans le conflit de tes pères qui eux-mêmes n'ont pu te dire leur secret. Mais je te le dis, ordonne à tes hommes tant qu'ils sont encore debout de s'en retourner dans leur foyer retrouver leur femme et leurs enfants. Alors je me chargerai de ton vieil ennemi, Scaragoth, que je connais aussi bien que toi et qui ne vaut pas mieux que toi !

Alfarion, excité par les insultes échangées avec Scaragoth avant la bataille, n'avait presque pas écouté le ménestrel et ses sages conseils. Son âme devait déjà être au milieu de la mêlée, là où sang, cris et pleurs se délayent pour former cette mixture épouvantable qu'on appelle la guerre. Sa lance Valkoeur en mains, il tempêta, agitant méchamment le poing en direction du troubadour :

- Ô Tyrion, ménestrel désœuvré, retourne donc d'où tu es venu, si tes bénédictions ne s'appliquent pas aux Xarnosians, car tes paroles s'envoleront devant Scaragoth comme un moineau devant l'Aigle Royal. Et comme elles se sont envolées devant moi car personne ne pourra faire oublier au clan de Xarnos les multiples affronts que Scaragoth Borudil et les siens ont perpétrés durant les siècles passés. Ni même toi, car aussi noble sois-tu, tu ne reste qu'un troubadour sans plus d'attache, tu n'es pas digne de me dicter ma conduite. Vas-t-en, Tyrion, ménestrel maudit !

Loin de se démonter par les furieuses paroles de notre chef et voyant les acclamations que nos guerriers poussaient quand Alfarion parlait, Tyrion répliqua d'un ton sans réplique :

- Certes, les paroles s'envolent, mais laissez-les atteindre les oiseaux dans le ciel car vous, frères Elfes, n'êtes apparemment pas capable d'entendre malgré la taille de vos oreilles ! Vous courez à votre perte, car je vous le dis, cette bataille sera la dernière pour la plupart d'entre vous. Rentrez chez vous, veillez sur votre famille, elle a plus besoin de vous que cet Ancien sur qui le poids des années commence à écraser l'esprit...

A ces mots, Alfarion leva Valkoeur et, avec une force extraordinaire, la lança dans le cœur de celui qui fut le plus grand ménestrel Elfe de nos temps. Il périt sur le coup. Au loin résonna le tonnerre. Le clan de Xarnos regarda un temps le corps étendu sans vie, puis, sous les exhortations d'Alfarion, finit par s'emparer de ses épées et boucliers afin de régler ce différend dont on ne savait rien.

Au matin, mon père et une soixantaine de ses compagnons revinrent en boitant, ensanglantés, au campement. Nous étions vainqueurs. Mais quatre cents de nos vigoureux pères de familles restèrent sur le champ de bataille cette nuit-là.

La bataille, sous une pluie battante, avait vu la mort des deux rivaux, Alfarion et Scaragoth Borudil, qui s'étaient tués en combat singulier, simultanément. Leurs têtes gisaient détachées de leur corps dans la mare de sang dont ils étaient responsables.

Mon père, disciple d'Alfarion, le pleura longuement, mais je sais, moi Francil, qu'il s'agissait d'un être capable de tuer celui qui n'a que la langue comme arme. Et c'est pourquoi je le méprise aujourd'hui, autant que j'admire Tyrion et que j'ai choisi de suivre sa voie, le talent et les dons extraordinaires en moins, mais le cœur à l'ouvrage...




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