Ou il est question de fuite, de combat, de fureur, et finalement, d'amour.
Le cheval marchait au pas, se frayant un passage à travers les fourrés. Un tapis de feuilles et de mousse
amortissait ses pas. Son cavalier, vêtu d'un simple pantalon de peau, de grossières bottes de cuir, et
d'une vieille cape de fourrure élimée était assoupi, penché sur l'encolure de sa monture. Une lourde
hache accrochée à sa selle battait les flancs du cheval. Il rêvait. L’arène, la fuite, la poursuite. Quatre
jours. Quatre jours qu'il avait fuit, tuant deux gardes, volant un cheval. Quatre jours de galop effréné pour
mettre toujours plus de distance entre lui et sa horde de poursuivants. En voyant la vaste fôret, il n'avait
pas hésité. Depuis trois heures qu'il était à l'abri des grands chênes, il avait eu l'impression que la
poursuite acharnée avait cessé. Inexplicablement. Jamais un gladiateur n'avait réussi à s'enfuir. Les corps
sans vie de ceux qui avaient essayé était exposés longtemps au centre de l’arène, en exemple. Bercé par
le doux chant des feuillages et par le pas de sa monture fourbue, il s’était endormi.
Soudain, un lasso siffla et s'enroula autour du cou du cheval. Celui-ci se cabra, faisant vider les étriers
à son cavalier. En un éclair, de frêles silhouettes jaillirent de taillis environnants, tombèrent des
feuillages. L’acmène, malgré sa haute stature et sa puissante musculature fut immobilisé par des poignes
solides, une lame sous la gorge. Un vil elfe a l'air farouche s'approcha et dit sèchement quelques mots
dans sa langue. Les mains lâchèrent leur prise, et l’acmène put lentement se lever. Il dominait d'une
bonne tête le vieux chef.
"Mon nom est Ghân-buri-Ghân. Qui es-tu? Que fais tu dans la Foret Sacrée? " interrogea ce dernier,
nullement impressionné. Le fuyard comprit la fin de la poursuite. Les Elfes Sylvains. Quiconque
s'introduisait sur leur domaine était rapidement puni de mort. La crainte qu'ils inspiraient était ancrée au
plus profond de tous.
"Je suis poursuivi; je vous en prie laissez moi aller, je ne vous importunerai pas", dit-il calmement. Le
vieillard sourit durement :
"Plus personne ne te poursuit, fou, " il porta les yeux sur l'arme du guerrier et ajouta "Tu affronteras notre
meilleur danseur. Si tu survis, tu passeras."
Il tourna le dos à l’acmène qui se trouva bientôt au centre d'un cercle constitué par ses assaillants. Une
Elfe de haute taille vint se placer face à lui. Elle était vêtue d'une légère cotte de maille et d'un très
ample pantalon vert et or. Sa chevelure rousse était attachée en une longue queue de cheval. Son visage
resplendissait de beauté. Ses yeux verts lançaient des éclairs. Des paroles entendues il y a longtemps lui
revinrent en mémoire :"Les danseurs de combat sylvains frappent aussi vite que le vent, et aussi fort que
le tonnerre. Personne n'a survécu à un combat avec l'un d'eux."
Il ramassa sa hache et dit :" J'ai vu trop de sang versé. Je ne veux pas me battre". La voix du chef tonna.
" Serais tu lâche? tu n'as pas le choix!"
La danseuse de combat poussa un cri terrifiant et se jeta sur son adversaire en faisant tournoyer les deux
sabres qu'elle venait de dégainer. Jamais l'ancien gladiateur n'avait vu attaque plus foudroyante.
"Khorne, protège moi encore une fois", pria t il. Il para desesperement la pluie de coups qui s’abattait
sur lui. Le combat dura près d'un quart d’heure, l’acmène se protégeant comme il pouvait de sa hache,
l'elfe attaquant comme un furie. Les bras, le torse, le visage du guerrier se couvrait de longues estafilades
sanglantes. Tout a coup, l'elfe fit voler la hache d’un magistral coup de sabre et planta sa seconde lame
dans le cote de son adversaire. Celui ci cria, chancela et s’abattit face contre terre. La danseuse de
combat poussa un cri de triomphe en levant ses lames vers le ciel, acclamée et fêtée par ses compagnons.
Leur Grande Forêt n’était plus souillée par un intrus. Ils avaient encore une fois vaincu.
C'est alors que cela arriva. Un puissant rugissement se fit entendre, pétrifiant chacun de stupeur. Ils
virent le guerrier, laissé pour mort, se lever lentement, le visage déformé par une grimace effrayante. Ses
yeux, largement ouverts, étaient uniformément rouge sang. Il ne ressentait plus ni douleur, ni peur.
Uniquement la rage. La Fureur semblait courir dans ses veines, faisant tressaillir son torse ensanglanté. Il
se jeta sur le groupe paniqué, tel un fauve enragé, utilisant ses poings et ses bras comme de puissantes
masses pour abattre toute personne à sa portée. La danseuse attaqua, mais fut très vite jetée a terre par un
coup violent. Sans ménagement, le guerrier la ramassa comme un fétu de paille et la jeta contre un arbre
proche. Il s'empara de sa hache et se dirigea vers le corps de la jeune elfe. Celle ci, adossée contre
l'arbre vit son adversaire lever lentement la lourde hache, son regard de braise fixée sur son visage. Elle
ferma les yeux, attendant le coup fatal. "Esprit de la Forêt, me voila». Un coup puissant fit trembler
l'arbre, fendant son tronc. Ouvrant les yeux, elle vit la hache plantée a quelques pouces de sa tête. Le
guerrier, debout, la dévisageait toujours. Mais la Fureur avait quitte son regard. Ses yeux, redevenus
noirs, pleuraient. Ses lèvres bougèrent, et il s’écroula lourdement sur le sol. Les blessés et l’acmène
mourant furent ramenés dans la Cite Sylvestre, perchée dans les feuillages de chênes ancestraux. Pendant
près de deux semaines, le vieux Ghân-buri-Ghân lui même veilla et soigna le blessé. Il ne quittait pas son
chevet, prenant soin de lui comme un de ses nombreux fils, écoutant les délires causes par la fièvre. La
rousse Arien, qui avait affronté le terrible acmène, tint à le seconder, malgré ses propres blessures.
Un jour, l'ancien gladiateur ouvrit les yeux, et, les découvrant près de lui, leur sourit faiblement. Apres
quelques mots, il leur raconta tout. L’arène, les combats, le fouet, le sang qu'il avait versé pour ne pas
tomber lui même, les cris obscènes des riches spectateurs. La Fureur incontrôlable qui l'emplissait
toujours et le faisait sortir vainqueur à chaque combat. La fuite enfin, et la poursuite qui s'ensuivit. A la
fin de son récit, il éclata en sanglots, se confondant en excuses pour le mal qu'il avait pu leur faire. Arien
caressa son visage avec douceur, et déposa un tendre baiser sur son large front. Calme, acmène
s’endormit comme un enfant.
Il lui fut donné le nom d'Imrahil, La Fureur en langue elfe. Il fut adopté et aimé par toute la tribu comme
un des leurs. La rousse Arien lui fit découvrir et aimer la Forêt au cours de longues courses. Il
s’attachèrent peu a peu l'un a l'autre, et ne se quittèrent bientôt plus.
Lors d'une promenade nocturne, la jeune Elfe lui demanda : " Pourquoi ta Fureur ne m'a pas tué?".
Imrahil lui sourit, lui prenant la main, et murmura : "Que pouvait-elle faire contre ta beauté?" Arien
l’enlaça tendrement. Ce qui se passa cette nuit là, les paroles qu'ils se murmurèrent doucement, les geste
empreints de tendresse et d'amour qu'ils échangèrent, seuls l'Esprit de la Forêt, et la lune en furent
témoin...