Voici l'histoire de l’enfance de Bilouin le Fort avant sa rencontre avec
Kruga la Douce, extraite du lai des Pierres Destin.
« En ces temps ancestraux d’avant la Grande Migration, la magie n’était pas une légende, sortilèges et
enchantements foisonnaient dans nos vastes forêts. Par une belle nuit étoilée, le jour de la Fête des
Lucioles, naquit Bilouin, troisième fils de Mélisse et d’Askrin le Sage chef de la tribu des Hiboux Bleus.
Les lunes passaient et Bilouin grandissait sous le regard bienveillant de toute la communauté. La grâce et
la beauté de ce petit être remplissait de joie le cœur de ses parents. Mais, alors que ses deux frères
devenaient grands et forts, Bilouin restait petit et chétif. Une nuit, Mélisse, le sommeil troublé, eût un
songe. Hélas, la prophétie s’annonça de bien triste augure : elle vit en rêve la mort de ses trois enfants.
On fit donc venir au plus vite le grand chaman Zoltan, farfadet grave et plein de sagesse vivant retiré au
plus profond de la forêt. Il enchanta trois pierres de protection : Silia, Siria et Sivia. Silia, d’un profond
bleu de nuit sans étoiles, fut donnée à l’aîné Berouin , Siria d’un vert pur comme tout ce qui nait de la
terre fut donnée au second des fils Askal et Sivia d’un rouge flamboyant fut donnée à Bilouin. Nul ne
comprit ce que murmura Zoltan lorsqu’il remis les pierres aux enfants mais c’est à haute voix qu’il
prononça ces paroles :
« Les pierres sont à la terre le cœur et la raison.
Portant rire et tonnerre quand passent les saisons.
Comme elle, il nous faudrait louer la renaissance.
Mourir pour mieux renaître, ou la vie ou l’errance ».
Les années passèrent et la menace ne parut plus qu’être un mauvais souvenir.
Pourtant, alors qu’il avait 18 ans, on retrouva dans le torrent le corps sans vie de Berouin avec une forte
somme d’or dans ses poches, mais point de trace de Silia la bleue.
Un autre jour alors qu’Askal le second des fils était assoupi à l’ombre d’un grand chêne , une pie lui
déroba sa pierre. A son réveil, ne la trouvant plus, il entreprit de fouiner le moindre recoin de forêt.
Marchant à quatre pattes, les yeux fous, cherchant sous la mousse, scrutant la cime des arbres, soulevant
chaque caillou, feuille morte et brindille tapissant la forêt. Les yeux hagards, sans plus la moindre raison,
il en oublia qui il était et ce qu’il faisait le nez dans l’humus. Il cherchait, et cherche encore, en vain, ce
qu’il ne connaissait plus.
Quant à Bilouin il se sentait investi d’une grande responsabilité en protégeant la pierre Sivia. Il se
battait au péril de son corps contre les voleurs et les brigands. Il était sourd à toutes propositions
malhonnêtes, refusant incorruptiblement l’or ou les pierres précieuses. Il attendait patiemment que les
railleurs se taisent, ne souffrant pas des calomnies. Autour de son cou, attachée à deux cordelettes, dont
l’une plus courte, faisait pencher sensiblement la pierre sur la gauche de son torse, il ne la quittait plus.
En revanche, il la montrait volontiers aux enfants en leurs racontant son histoire, et il se confiait souvent
à elle, comme à un ami. Il ne se sentait jamais seul avec elle, pourtant il donnait l’image d’un farfadet
fort et courageux, étonnamment indépendant.
Où était passé le chétif Bilouin ? Avait-il disparu ? Etait-il mort, comme son frère aîné ? Un peu, en
vérité...Il a su se renouveler à l’arrivée de la pierre, accepter d’en finir avec celui qui n’aurait su la
protéger. Il a assumé l’être qu’il devait devenir. Il devait en être ainsi de tous les petits Farfadets,
descendance de Bilouin Le Fort. »
On raconte que la pierre rouge ornant la bague du roi des Farfadets depuis des générations n’est autre
que Sivia, la pierre de Bilouin.