Le premier disciple de S'Guöl
Il faisait sombre, très sombre dans son château, la lumière le gênait, il ne la supportait pas. Elle lui
rappelait la seule vraie lumière qu'il ait jamais vu quand il n'était encore qu'un mortel. Quel était
donc le nom de cette déesse à la beauté ensorcelante ? Il ne s'en souvenait plus, cela faisait si
longtemps... Des milliers d'années ou peut-être bien des millions, le temps passe mais ne diminue rien
à la douleur, au contraire, elle y adjoint la solitude de l'oubli. C'était le prix qu'il devait payer,
d'une certaine façon il l'avait accepté, on ne devient pas un dieu en connaissant le bonheur et la joie,
la solitude est leur fardeau, la tristesse leur quotidien. En ce jour, comme à son habitude, il siégeait
sur l'immense trône d'ombre qui semblait flotter au milieu d'une immense pièce dont les murs ne se
dévoilaient que par la faible lumière fournies par de pauvres torches apathiques. Seulement ce jour
serait différent, il le savait, bientôt quelqu'un entrerait par la phénoménale porte de fer qui lui
faisait face. Comme il l'avait prévu, la porte fit rugir la plainte de ses gonds, agressant ainsi le
silence omniprésent qui ne réussit à prendre le dessus qu'un fois le portail complètement ouvert.
Une silhouette drapée de noir franchit le seuil de la salle et s’approcha à pas feutrés du trône de
l’obscurité éternelle. Bizarrement, l’homme en noir, qui avait sans doute causé la peur partout sur son
chemin tant l’aura de mystère et de terreur qui l’entourait, et bien cet homme tremblait tant qu’il
avait du mal pour marcher et s’approcher du siège divin. Il réussit quand même à arriver à moins de dix
pas avant de tomber à genoux et de parler d’une voix sans assurance.
« Merci mon Dieu, merci de m’avoir guidé jusqu’à vous… »
« Je n’y suis pour rien, seul ton courage, ta persévérance, et ta destinée t’ont permis ce miracle »
répondit l’immortel tout en pensant à l’instant où lui, il avait pénétré en ces lieux, beaucoup
d’étoiles s’étaient éteintes depuis, mais dieu que le temps est douloureux et n’efface pas ce genre de
souvenir.
« Qui es-tu ? Pourquoi oses-tu interrompre mon repos ? » reprit la voix caverneuse.
« Pardon … euh … désolé … je ne voulais pas… » Il était de moins en moins sûr de lui, il doutait que
cela fut possible.
« Parle mortel, je te pardonne ton intrusion si le sujet de ta venue est valable. »
« Bien, Oh Immortel, je suis Eltharion le Sombre, membre de la race des elfes sombres, magicien des
âmes… »
« Tes titres m’importent peu, je n’ai rien à faire de la manière dont tes congénères te nomment, je veux
seulement savoir qui tu es ! »
L’être d’ombre sembla braqué son regard de feu dans le plus profond de l’âme de l’elfe qui ne pur opposé
aucune résistance à l’examen.
« Je suis venu pour… pour me mettre à votre service, je désire devenir votre disciple afin de semer votre
parole aux quatre recoins de l’univers. »
« Qui te dis que j’ai besoin d’une telle chose, jusqu’ici ma parole n’a eu besoin de personne pour
toucher le cœur des hommes. Ta présence en ces lieux en est une preuve irréfutable. Je sais ce que
tu attends de moi, tu veux le pouvoir, plus de pouvoir… »
« C’est seigneur, je ne peux vous tromper mais voyez comment les mortels vivent, voyez ce qu’ils pensent
de l’ombre, ils crachent sur mes frères, partout où je suis passé, l’ombre rime avec l’horreur, la
cruauté, le mal. Je sais que c’est faux mais il me faut les moyens pour montrer la vérité aux autres,
l’heure est venue, il est temps d’agir ! »
« Tu es plus naïf que je ne le pensais, tu crois peut-être pouvoir changer cela : dans le cœur de la
majorité, l’ombre sera toujours le mal, elle sera toujours source de peur car appartenant à l’inconnu.
Et tu sais bien comment les mortels traitent ce dont ils ont peur et qu’ils ne connaissent pas, ils
le méprisent et essayent de le détruire. »
« Mais si moi j’ai réussi à ne pas avoir peur, à comprendre l’obscurité, pourquoi d’autres ne le
pourraient pas, je ne peux pas être le seul… »
Le désespoir l’envahissait, non il ne pouvait pas être le seul à connaître le dieu de l’ombre, il ne
voulait plus être seul.
Une vague de souvenir afflua à la mémoire du dieu obscur, il se rappela que, lui aussi, il avait mené
une lutte vaine, perdue d’avance, il croyait pouvoir l’aimé, il s’était trompé, il en payait le prix.
C’est peut-être pour ça, ou alors parce qu’il en avait assez de cette solitude, qu’il accepta la
proposition d’Eltharion. C’est ainsi que débuta la croisade d’Eltharion le Sombre, certains le
qualifièrent de démon ou chef des armées du dieu perdu. La vérité est qu’il erra le reste de ses jours
dans l’univers, préchant la parole de S’Guöl le redouté, jamais il ne prit foyer, jamais il n’eut de
repos. Ce fut le prix qu’il paya pour avoir cherché le pouvoir. Oh bien sur il devint puissant, très
puissant, très peu sont ceux qui l’égalaient. Mais comme il ne se défit jamais de sa foi en son dieu,
il ne chercha ni à soumettre les peuples ni à montrer sa puissance. C’est dans son errance qu’il
convainquit d’autres de se joindre à lui, le cercle de S’Guöl, les initiateurs de la foi. C’est aussi
de lui que nous tenons un grand nombre d’informations sur le dieu sombre, moi-même je retire un grand
enseignement des quelques parchemins que j’ai réussi à traduire pour le moment. J’ai même mis la main
sur une copie d’un de ses livres, une version entière, témoin du temps et de l’espace, témoin de ce
en quoi nous croyons.
Thuwe, Moynoir